Laudato si’, une feuille de route.
Ce texte offre un instrument et un support pour une première lecture de l’encyclique, en
aidant à en comprendre la dynamique d’ensemble et à en extraire les lignes de force. Les
deux premières pages présentent Laudato si’ dans son ensemble, puis sont décrits les
chapitres et leur portée, en reprenant des passages-clé du texte. Les numéros entre
parenthèses renvoient aux paragraphes de l’encyclique. Les deux dernières pages
présentent le sommaire dans son intégralité.
Un regard d’ensemble.
« Quel genre de monde voulons-nous laisser à ceux qui nous succèdent, aux enfants
qui grandissent ? » (160) Cette interrogation est au coeur de Laudato si’, l’encyclique
attendue du Pape François sur la protection de notre maison commune. Le Pape poursuit :
« Cette question ne concerne pas seulement l’environnement de manière isolée, parce qu’on
ne peut pas poser la question de manière fragmentaire », et ceci conduit à s’interroger sur
le sens de l’existence et de ses valeurs à la base de la vie sociale : « Pour quoi passonsnous
en ce monde, pour quoi venons-nous à cette vie, pour quoi travaillonsnous
et luttons-nous, pour quoi cette terre a-t-elle besoin de nous ? : « Si cette
question de fond n’est pas prise en compte, dit le Souverain Pontife , je ne crois
pas que nos préoccupations écologiques puissent obtenir des effets
significatifs. »
L’encyclique prend le nom de l’invocation de saint François « Loué sois-tu mon Seigneur »
du Cantique des Créatures, qui rappelle que la terre, notre maison commune, est « comme
une soeur, avec laquelle nous partageons l’existence, et comme une mère, belle, qui nous
accueille à bras ouverts ». (1) Nous-mêmes « sommes terre » (Gn 2,7). Notre corps est luimême
constitué des éléments de la planète, « son air nous donne le souffle et son eau nous
vivifie comme elle nous restaure. » (2).
Aujourd’hui, cette terre, maltraitée et saccagée, pleure, et ses gémissements
rejoignent ceux de tous les laissés-pour-compte dans le monde. Le Pape François invite à les
écouter, en sollicitant chacun de nous – individus, familles, collectivités locales, nations et
communauté internationale – à une « conversion écologique », selon l’expression de saint
Jean-Paul II, c’est-à-dire « changer de cap », en assumant la beauté et la responsabilité d’un
engagement « pour la protection de notre maison commune ». Dans le même temps, le Pape
François reconnait « une sensibilité croissante concernant aussi bien l’environnement que
la protection de la nature, et une sincère et douloureuse préoccupation qui grandit pour ce
qui arrive à notre planète » (19), légitimant ainsi un regard d’espérance qui ponctue toute
l’encyclique, et envoie à tous un message clair et plein d’espérance : « L’humanité
possède encore la capacité de collaborer pour construire notre maison
commune » (13) ; « l’être humain est encore capable d’intervenir positivement » (58) ;
« tout n’est pas perdu, parce que les êtres humains, capables de se dégrader à l’extrême,
peuvent aussi se surmonter, opter de nouveau pour le bien et se régénérer » (205).
Le Pape François s’adresse bien sûr aux fidèles catholiques, en reprenant les paroles
de saint Jean-Paul II : « les chrétiens, notamment, savent que leurs devoirs à l’intérieur de
la création et leurs devoirs à l’égard de la nature et du Créateur font partie intégrante de
leur foi » (64), mais propose « spécialement d’entrer en dialogue avec tous en ce qui
concerne notre maison commune » (3) : le dialogue parcourt tout le texte, et dans le chapitre
5, devient un instrument pour affronter et résoudre les problèmes. Depuis toujours, le Pape
François rappelle que « les autres Églises et communautés chrétiennes – comme
aussi d’autres religions – ont nourri une grande préoccupation et une
précieuse réflexion » sur le thème de l’écologie. (7) Il en assume même explicitement la
contribution, en citant amplement le « cher Patriarche oecuménique Bartholomée»
(7). À plusieurs reprises, le souverain pontife remercie les protagonistes de cet engagement
- que ce soient des individus, des associations ou des institutions -, en reconnaissant que « la
réflexion d’innombrables scientifiques, philosophes, théologiens et organisations sociales
qui ont enrichi la pensée de l’Église sur ces questions » (7), et invite chacun à reconnaître
« la richesse que les religions peuvent offrir pour une écologie intégrale et pour le plein
développement du genre humain ».
L’itinéraire de l’encyclique est tracé au paragraphe 15, et s’articule en six chapitres.
On passe d’une écoute de la situation à partir des meilleures données scientifiques
disponibles (chap 1), à la confrontation avec la Bible et la tradition judéo-chrétienne (chap
2), en identifiant les racines des problèmes (chap 3) posés par la technocratie et un repli
autoréférentiel excessif de l’être humain. La proposition de l’encyclique (chap 4) est celle
d’une « écologie intégrale, qui a clairement des dimensions humaines et
sociales. » (137), inséparablement liée à la question environnementale. Dans cette
perspective, le Pape François propose (chap 5) d’avoir, à chaque niveau de la vie sociale,
économique et politique, un dialogue honnête qui structure des processus de décision
transparents, et rappelle (chap6) qu’aucun projet ne peut être efficace s’il n’est pas animé
d’une conscience formée et responsable, en donnant des pistes éducatives, spirituelles,
ecclésiales, politiques et théologiques pour croitre dans cette direction.
Le texte s’achève par deux prières, l’une s’adressant à ceux qui croient en un « Dieu Créateur
et Père » (246), et l’autre proposée à ceux qui professent la foi en Jésus Christ, rythmée par
la ritournelle du « Laudato Si’ » qui ouvre et ferme l’encyclique.
L’encyclique est traversée par plusieurs axes thématiques, traités selon diverses
perspectives, qui lui donnent une forte unité : « l’intime relation entre les pauvres et la
fragilité de la planète ; la conviction que tout est lié dans le monde ; la critique du nouveau
paradigme et des formes de pouvoir qui dérivent de la technologie ; l’invitation à chercher
d’autres façons de comprendre l’économie et le progrès ; la valeur propre de chaque
créature ; le sens humain de l’écologie ; la nécessité de débats sincères et honnêtes ; la grave
responsabilité de la politique internationale et locale ; la culture du déchet et la proposition
d’un nouveau style de vie. » (16).
Chapitre I – Ce qui se passe dans notre maison
Le chapitre reprend les meilleures données scientifiques en matière
d’environnement, comme outil pour écouter le cri de la création, « transformer en
souffrance personnelle ce qui se passe dans le monde, et ainsi reconnaître la contribution
que chacun peut apporter » (19). « Différents aspects de la crise écologique actuelle» sont
ainsi confrontés (15).
Les mutations climatiques : « Le changement climatique est un problème global aux
graves répercussions environnementales, sociales, économiques, distributives et
politiques, et constitue l’un des principaux défis actuels pour l’humanité » (25). Si « Le
climat est un bien commun, de tous et pour tous » (23), l’impact le plus fort de son
altération retombe sur les plus pauvres, mais « Beaucoup de ceux qui détiennent plus de
ressources et de pouvoir économique ou politique semblent surtout s’évertuer à masquer
les problèmes ou à occulter les symptômes» (26) : « Le manque de réactions face à ces
drames de nos frères et soeurs est un signe de la perte de ce sens de responsabilité à l’égard
de nos semblables, sur lequel se fonde toute société civile. » (25).
La question de l’eau : le Souverain Pontife affirme de façon claire que « l’accès à l’eau
potable et sûre est un droit humain primordial, fondamental et universel, parce qu’il
détermine la survie des personnes, et par conséquent il est une condition pour l’exercice des
autres droits humains. ». Priver les pauvres de l’accès à l’eau « c’est leur nier le droit à la
vie, enraciné dans leur dignité inaliénable » (30).
La perte de la biodiversité : « Chaque année, disparaissent des milliers
d’espèces végétales et animales que nous ne pourrons plus connaître, que nos
enfants ne pourront pas voir, perdues pour toujours » (33). Ce ne sont pas
seulement des « ressources » exploitables, mais elles ont une valeur pour elles-mêmes. Dans
cette perspective, « Les efforts des scientifiques et des techniciens, qui essaient d’apporter
des solutions aux problèmes créés par l’être humain, sont louables et parfois admirables »,
mais l’intervention humaine, fréquemment au service des finances et du consumérisme, fait
que la terre où nous vivons devient en réalité moins riche et moins belle, toujours plus
limitée et plus grise » (34).
La dette écologique : dans le cadre d’une éthique des relations internationales,
l’encyclique indique qu’il existe une « véritable dette écologique » (51), surtout du nord
envers le sud. Face aux mutations climatiques, les « responsabilités sont diverses » (52), et
celles des pays développées sont les plus importantes.
En ayant conscience des profondes divergences en ce qui concerne ces problèmes, le
Pape François se montre profondément touché par « la faiblesse des réactions » face
aux drames de tant de personnes et de populations. Malgré des exemples positifs (58), il
signale « un certain assoupissement et une joyeuse irresponsabilité» (59). Il manque une
culture adéquate (53) qui permette de transformer « nos styles de vie, de production et de
consommation »(59), tandis qu’ « il devient indispensable de créer un système normatif
qui implique des limites infranchissables et assure la protection des écosystèmes » (53).
Chapitre II – L’Évangile de la Création.
Pour illustrer les problématiques illustrées dans le chapitre précédant, le Pape
François relit les récits de la Bible, offre une vision globale qui vient de la tradition judéochrétienne
et évoque la « terrible responsabilité » (90) de l’être humain dans son rapport
avec la Création, le lien intime entre toutes les créatures et le fait que « l’environnement est
un bien collectif, patrimoine de toute l’humanité, sous la responsabilité de tous. » (95)
Dans la Bible, « le Dieu qui libère et sauve est le même qui a créé l’univers,
en lui affection et vigueur se conjuguent. » (73). Le récit de la création est central pour
réfléchir sur le rapport entre l’homme et les autres créatures, et sur comment le péché rompt
l’équilibre de toute la création dans son ensemble : « Ces récits suggèrent que l’existence
humaine repose sur trois relations fondamentales intimement liées : la relation avec Dieu,
avec le prochain, et avec la terre. Selon la Bible, les trois relations vitales ont été rompues,
non seulement à l’extérieur, mais aussi à l’intérieur de nous. Cette rupture est le péché. ».
(66)
Pour cela, « S’il est vrai que, parfois, nous les chrétiens avons mal interprété les
Écritures, nous devons rejeter aujourd’hui avec force que, du fait d’avoir été créés à l’image
de Dieu et de la mission de dominer la terre, découle pour nous une domination absolue
sur les autres créatures », explique le Pape (67). « À l’homme incombe la responsabilité de
« cultiver et protéger » le jardin du monde (cf Gn 2,15) » (67), en sachant que « la fin
ultime des autres créatures, ce n’est pas nous. Mais elles avancent toutes, avec
nous et par nous, jusqu’au terme commun qui est Dieu » (83).
Que l’homme ne soit pas le patron de l’univers, « ne signifie pas que tous les êtres
vivants sont égaux ni ne retire à l’être humain sa valeur particulière, qui le caractérise, cela
ne suppose pas non plus une divinisation de la terre qui nous priverait de l’appel à
collaborer avec elle et à protéger sa fragilité. » (90). Dans cette perspective, « toute
cruauté sur une quelconque créature « est contraire à la dignité humaine
» (92), mais un « sentiment d’union intime avec les autres êtres de la nature ne
peut pas être réel si en même temps il n’y a pas dans le coeur de la tendresse,
de la compassion et de la préoccupation pour les autres êtres humains »(91). Il
faut développer la conscience d’une communion universelle : « créés par le même Père, nous
et tous les êtres de l’univers, sommes unis par des liens invisibles, et formons une sorte de
famille universelle, […] qui nous pousse à un respect sacré, tendre et humble» (89).
Le chapitre se conclut sur le coeur de la révélation chrétienne : « Jésus terrestre »
dans sa relation si concrète et aimable avec le monde « est ressuscité et glorieux, présent
dans toute la création par sa Seigneurie universelle » (100).
Chapitre III – La racine humaine de la crise écologique
Ce chapitre présente une analyse de la situation actuelle, « pour que nous ne
considérions pas seulement les symptômes, mais aussi les causes les plus profondes. » (15),
dans un dialogue avec la philosophie et les sciences humaines.
Un des premiers points d’appui du chapitre sont les réflexions sur la technologie :
l’amélioration des conditions de vie au cours de l’histoire est salué (102-103), mais toutes
ces capacités et avancées « donnent à ceux qui ont la connaissance, et surtout le
pouvoir économique d’en faire usage, une emprise impressionnante sur
l’ensemble de l’humanité et sur le monde entier. » (104). Ce sont précisément les
logiques de domination technocratiques qui mènent à la destruction de la nature et à
l’exploitation des personnes et des populations les plus faibles. « Le paradigme
technocratique tend aussi à exercer son emprise sur l’économie et la politique » (109), et
empêche de reconnaitre « que le marché ne garantit pas en soi le développement humain
intégral ni l’inclusion sociale » (109).
L’époque moderne se caractérise par « une démesure anthropocentrique. » (116) :
l’être humain ne reconnait plus sa juste position par rapport au monde et prend une position
autoréférentielle, exclusivement centrée sur elle-même et son propre pouvoir. En dérive
ainsi une logique du « jetable », qui justifie tout type de déchet, qu’il soit environnemental
ou humain, qui traite l’autre et la nature comme un simple objet et conduit à une myriade
de formes de domination. « La culture du relativisme est la même pathologie qui pousse
une personne à exploiter son prochain et à le traiter comme un pur objet, l’obligeant aux
travaux forcés, ou en faisant de lui un esclave à cause d’une dette. C’est la même logique
qui pousse à l’exploitation sexuelle des enfants ou à l’abandon des personnes âgées qui ne
servent pas des intérêts personnels. C’est aussi la logique intérieure de celui qui
dit : Laissons les forces invisibles du marché réguler l’économie, parce que ses impacts sur
la société et sur la nature sont des dommages inévitables. S’il n’existe pas de vérités
objectives ni de principes solides hors de la réalisation de projets personnels et de la
satisfaction de nécessités immédiates, quelles limites peuvent alors avoir la traite des êtres
humains, la criminalité organisée, le narcotrafic, le commerce de diamants ensanglantés
et de peaux d’animaux en voie d’extinction ? N’est-ce pas la même logique relativiste qui
justifie l’achat d’organes des pauvres dans le but de les vendre ou de les utiliser pour
l’expérimentation, ou le rejet d’enfants parce qu’ils ne répondent pas au désir de leurs
parents ? (123).
Sous cette lumière, l’encyclique affronte deux problèmes cruciaux pour le monde
d’aujourd’hui. Avant tout en ce qui concerne le travail : « Dans n’importe quelle approche
d’une écologie intégrale qui n’exclue pas l’être humain, il est indispensable d’incorporer la
valeur du travail » (124), tout comme « cesser d’investir dans les personnes pour
obtenir plus de profit immédiat est une très mauvaise affaire pour la société. »
(128).
Le second point concerne les limites du progrès scientifique, avec une référence claire
aux OGM (132-136), « une question d’environnement complexe » (135). « Même si, dans
certaines régions, leur utilisation est à l’origine d’une croissance économique qui a aidé à
résoudre des problèmes, il y a des difficultés importantes qui ne doivent pas être
relativisées » (134), comme « une concentration des terres productives entre les mains d’un
petit nombre » (134). Le Pape François pense en particulier « aux petits producteurs et
travailleurs ruraux, à la biodiversité, au réseau des écosystèmes. » Pour cela, il est
nécessaire de « garantir une discussion scientifique et sociale qui soit
responsable et large, capable de prendre en compte toute l’information
disponible et d’appeler les choses par leur nom » (135), à partir de « diverses lignes
de recherche, autonomes et interdisciplinaires » (135).
Chapitre IV – Une Écologie intégrale
Le coeur de la proposition de l’encyclique est l’écologie intégrale comme nouveau
paradigme de justice ; une écologie qui « incorpore la place spécifique de l’être humain dans
ce monde et ses relations avec la réalité qui l’entoure » (15). En effet, nous ne pouvons
« concevoir la nature comme séparée de nous ou comme un simple cadre de
notre vie » (139). Ceci est valable pour divers champs, de l’économie à la politique, dans
les différentes cultures, et de façon plus particulière dans celles qui sont les plus menacées,
mais aussi dans chaque moment de notre vie quotidienne.
La perspective de l’écologie intégrale met également en jeu une écologie des
institutions : « Si tout est lié, l’état des institutions d’une société a aussi des conséquences
sur l’environnement et sur la qualité de vie humaine : Toute atteinte à la solidarité et
à l’amitié civique provoque des dommages à l’environnement » (142).
Avec de nombreux exemples concrets, le Pape François ne fait que répéter sa propre
pensée : il y a un lien entre les questions environnementales et les questions sociales et
humaines qui ne peut pas être rompu. Ainsi « l’analyse des problèmes environnementaux
est inséparable de l’analyse des contextes humains, familiaux, de travail, urbains, et de la
relation de chaque personne avec elle-même » (141), ou « il n’y a pas deux crises séparées,
l’une environnementale et l’autre sociale, mais une seule et complexe crise socioenvironnementale.
» (139).
Cette écologie intégrale est « inséparable de la notion de bien commun » (156), mais
est à comprendre de manière concrète : dans le contexte contemporain, « où il y a tant
d’inégalités et où sont toujours plus nombreuses les personnes marginalisées, privées des
droits humains fondamentaux » (158), s’engager pour le bien commun signifie faire des
choix qui privilégie « une option préférentielle pour les plus pauvres » (158).
C’est aussi le meilleur moyen pour laisser un monde durable aux générations futures,
à travers un engagement à prendre soin des pauvres d’aujourd’hui, comme le soulignait déjà
Benoît XVI : « au-delà d’une loyale solidarité intergénérationnelle, l’urgente
nécessité morale d’une solidarité intra-générationnelle renouvelée doit être
réaffirmée » (162).
L’écologie intégrale investit aussi la vie quotidienne, à laquelle l’encyclique consacre
une attention spécifique, en particulier dans un environnement urbain. L’être humain a une
grande capacité d’adaptation et « la créativité et la générosité sont admirables de
la part de personnes comme de groupes qui sont capables de transcender les
limites de l’environnement […] en apprenant à orienter leur vie au milieu du désordre
et de la précarité » (148). Un développement authentique présuppose une amélioration
intégrale de la qualité de la vie humaine : espaces publics, logements, transports etc… (150-
154)
Dans ce sens, « il faut reconnaître que notre propre corps nous met en relation
directe avec l’environnement et avec les autres êtres vivants. L’acceptation de son
propre corps comme don de Dieu est nécessaire pour accueillir et pour
accepter le monde tout entier comme don du Père et maison commune ; tandis
qu’une logique de domination sur son propre corps devient une logique, parfois subtile, de
domination sur la création ». (155)
Chapitre V – Quelques lignes d’orientation et d’action.
Ce chapitre pose la question de ce que nous pouvons et devons faire. Les analyses ne
peuvent suffire. Il faut des propositions « de dialogue et d’action qui concernent aussi bien
chacun de nous que la politique internationale. » (15) et qui nous aident « à sortir de la
spirale d’autodestruction dans laquelle nous nous enfonçons » (163) Pour le Pape François,
il est essentiel que la construction de chemins concrets ne soit pas abordée de manière
idéologique, superficielle ou réductionniste. Pour cela, le dialogue est indispensable, un
terme présent dans le titre de chaque section de ce chapitre. « Dans certaines discussions
sur des questions liées à l’environnement, il est difficile de parvenir à un consensus. […]
l’Église n’a pas la prétention de juger des questions scientifiques ni de se
substituer à la politique, mais j’invite à un débat honnête et transparent, pour
que les besoins particuliers ou les idéologies n’affectent pas le bien commun »
(188).
Sur cette base, le Pape François ne craint pas de formuler un jugement sévère sur les
récentes dynamiques internationales : « les sommets mondiaux de ces dernières
années sur l’environnement n’ont pas répondu aux attentes parce que, par
manque de décision politique, ils ne sont pas parvenus à des accords
généraux, vraiment significatifs et efficaces, sur l’environnement » (166). Et de
se demander : « Pourquoi veut-on préserver aujourd’hui un pouvoir qui laissera dans
l’histoire le souvenir de son incapacité à intervenir quand il était urgent et nécessaire de le
faire ? » (57).
Comme l’a rappelé plusieurs fois le Souverain Pontife, à partir de l’encyclique Pacem
in terris, il faut des formes et des instruments efficaces de « gouvernance globale » (175) :
« En définitive, il faut un accord sur les régimes de gestion, pour toute la gamme de ce
qu’on appelle les ‘‘biens communs globaux’’ » (174), vu que « la protection de
l’environnement ne peut pas être assurée uniquement en fonction du calcul financier des
coûts et des bénéfices. L’environnement fait partie de ces biens que les
mécanismes du marché ne sont pas en mesure de défendre ou de promouvoir
de façon adéquate » (190, qui reprend le Compendium de la doctrine sociale de l’Église)
Toujours dans ce chapitre, le Pape François insiste sur le développement de processus
de décisions honnêtes et transparentes, pour pouvoir « discerner » quelles politiques et
initiatives entrepreneuriales pourront mener vers un « développement intégral » (185). En
particulier, l’étude de l’impact environnemental d’un nouveau projet « requiert des
processus politiques transparents et soumis au dialogue, alors que la
corruption, qui cache le véritable impact environnemental d’un projet en
échange de faveurs, conduit habituellement à des accords fallacieux au sujet
desquels on évite information et large débat. » (182)
L’appel adressé à tout responsable politique est particulièrement incisif, afin qu’il ne
cède pas « à la logique d’efficacité et d’immédiateté » qui domine aujourd’hui. (181). « S’il
ose le faire, cela le conduira à reconnaître la dignité que Dieu lui a donnée
comme homme, et il laissera après son passage dans l’histoire un témoignage de
généreuse responsabilité. » (181)
Chapitre VI – Éducation et spiritualité écologiques
Le chapitre final va au coeur de la conversion écologique à laquelle invite l’encyclique.
Les racines de la crise culturelle agissent en profondeur et il n’est pas facile de redessiner les
habitudes et les comportements. L’éduction et la formation restent des défis majeurs :
« tout changement a besoin de motivations et d’un chemin éducatif » (15) Sont
ainsi mentionnés tous les milieux éducatifs, en premier lieu « l’école, la famille, les moyens
de communication, la catéchèse » (213).
La première section, le point de départ est « miser sur autre style de vie » (203-208),
qui ouvre aussi la possibilité d’« exercer une pression saine sur ceux qui détiennent le
pouvoir politique, économique et social. » (206). C’est ce qui arrive quand les choix des
consommateurs réussissent à « modifier le comportement des entreprises, en les forçant à
considérer l’impact environnemental et les modèles de production » (206).
On ne peut sous-évaluer l’importance des parcours d’éducation environnementale capables
d’incidences sur les gestes de la vie quotidienne, de la réduction de la consommation d’eau,
au tri sélectif des déchets, « éteindre les lumières inutiles » (211). « Une écologie
intégrale est aussi faite de simples gestes quotidiens par lesquels nous
rompons la logique de la violence, de l’exploitation, de l’égoïsme » (230) Tout
cela sera plus simple à partir d’un regard contemplatif qui vient de la foi : « Pour le croyant,
le monde ne se contemple pas de l’extérieur mais de l’intérieur, en reconnaissant les liens
par lesquels le Père nous a unis à tous les êtres. En outre, en faisant croître les capacités
spécifiques que Dieu lui a données, la conversion écologique conduit le croyant à
développer sa créativité et son enthousiasme » (220)
Revient ainsi la proposition d’Evangelii Gaudium : « La sobriété, qui est vécue
avec liberté et de manière consciente, est libératrice » (223), et « le bonheur
requiert de savoir limiter certains besoins qui nous abrutissent, en nous rendant ainsi
disponibles aux multiples possibilités qu’offre la vie. » (223) ; de manière à ce qu’il soit
possible de « reprendre conscience que nous avons besoin les uns des autres, que nous
avons une responsabilité vis-à-vis des autres et du monde, que cela vaut la peine d’être
bons et honnêtes. » (229)
Les saints nous accompagnent sur ce chemin. Saint François, plusieurs fois cité, est
« l’exemple par excellence de la protection de ce qui est faible et d’une écologie intégrale,
vécue avec joie et authenticité » (10), un modèle dans lequel on voit combien sont
« inséparables la préoccupation pour la nature, la justice envers les pauvres, l’engagement
pour la société et la paix intérieure » (10). Mais l’encyclique rappelle aussi les figures de
saint Benoit, sainte Thérèse de Lisieux et le bienheureux Charles de Foucauld.
Après Laudato si’, l’examen de conscience, (l’instrument que l’Église a toujours
recommandé pour orienter sa propre vie à la lumière de la relation avec le Seigneur), devra
inclure une nouvelle dimension, en considérant non seulement comment est vécue la
communion avec Dieu, avec les autres et avec nous-même, mais aussi avec toutes les
créatures et la nature.